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 Les guinguettes 

Jo Privat - Swingjo - L'histoire des guinguettes
Etude du CNRS


" Une culture guinguette ? Analyse d'une revitalisation esthétique"

de Sara LE MENESTREL et Kali ARGIRIADYS,

Ministère de la Culture, Mission du patrimoine ethnologique. 2000 - 2001.


Le style musette
Les danses
Les chansons
Le public
Autour des guinguettes
Un décor champêtre
Nappes à carreaux et guirlandes multicolores
A la bonne franquette
Casquettes et paillettes
Guincher au son de l'accordéon
Franc-parler




Le style musette

Tout comme la peinture et le cinéma, le style musette est indissociable de la représentation contemporaine des guinguettes. Bien qu'il soit aujourd'hui loin de caractériser à lui seul les styles musicaux de ces établissements, sa force évocatrice est sans égale. Son origine n'en demeure pas moins confuse, brouillée par les divergences des sources disponibles [...]

Le style musette est né d'un paradoxe : de nos jours, il évoque avant tout l'accordéon, alors qu'il doit son nom à l'instrument éponyme, le musette. La plupart des sources s'accordent à la définir comme une cornemuse datant du 13 ème siècle constituée d'une outre, d'un tuyau percé de 6 ou 7 trous, d'autres tubes appelés "bourdons" et d'une anche double. En Auvergne, on la désignait sous le nom de "cabrette". L'autre thèse ( de C.Marcel-Dubois, 1980) soutient que la musette était en fait une clarinette. [...]

L'expression bal musette, elle, apparaît vers 1850 et désignait l'endroit où se produisaient les joueurs de cet instrument. Dès le 19ème siècle, des cafés parisiens sont animés pas des cabrettaires auvergnats venus implanter dans la capitale des brasseries et des cafés-tabacs. [...] Le style musette est issu de la rencontre de ces immigrés auvergnats avec les immigrés italiens, qui s'installent dans les mêmes quartiers (11ème, 12ème, 19ème et 20ème arrondissements). Les affinités des Auvergnats et des limousins avec les transalpins semblent trouver leur source dans une proximité linguistique, leur langue régionale étant mutuellement compréhensible. [...]

Les italiens commencent à collaborer avec les joueurs de musette dès 1880. Jouant tout d'abord de l'accordéon diatonique, la découverte de l'italien Paolo Soprani avec son accordéon chromatique, renverse les données. Désormais, beaucoup d'auvergnats se mettent aussi à jouer de l'accordéon mais dans sa forme diatonique.

D'ores et déjà, le musette comprend deux courants : celui durant lequel collaborent la cabrette et l'accordéon, puis celui qui voit l'accordéon s'imposer. Mais il ne s'agit pas d'une éviction pure et simple : les italiens s'imprègnent ainsi de la cabrette et apportent une touche auvergnate à leur répertoire.

L'histoire du musette est jalonnée de rencontres et de personnages emblématiques dont l'importance varie en fonction des sources. La rencontre d'André Bouscatel et Charles Péguri en 1904 apparaît presque systématiquement comme le symbole de l'avènement du style musette. Le premier originaire du Cantal, est joueur de musette et monte à Paris pour prendre la gérance d'un café rue de Lappes. Le second, fabrique des accordéons et après sa rencontre avec Bouscatel, se met à jouer avec lui dans son café.[...]

D'autres considèrent que c'est Emile Vacher qui mérite le titre d'inventeur du musette. Ferrailleur, il monte à Paris et ouvre en 1908 une salle de danse avec ses parents, le Bal de la montagne Sainte Geneviève. Il exerce ses talents de musicien dans les bals de Paris. Au couple accordéon-cabrette, Vacher ajoute une grosse caisse qu'il remplace plus tard par une harpe.

Enfin, le dernier personnage indissociable du musette est sans conteste Jo Privat, qui s'inscrit dans son héritage par son ascendance auvergnate du côté de son père et piémontaise du côté de sa mère. C'est de son lien étroit avec le Balajo, créé en 1935, qu'on le croit souvent à l'origine du nom de ce bal musette de la rue de Lappe.

Le musette évolue au fil des alliances entre musiciens. C'est ainsi que Django Reinhardt s'allie à des accordéonistes : Jo Privat, Tony Murena, Gus Viseur. Leur rencontre va donner naissance au swing musette à la fin des années trente. [...]


Les danses

A l'évolution du style musette fait écho celle des danses qui l'accompagnent.

Avant la première guerre mondiale, le bal musette et la cabrette sont associées à la bourrée, tandis que le style musette et l'accordéon sont représentés par la valse. L'accordéon chromatique fait apparaître de nouvelles danses : le tango dans la haute société (1905 chez les Rothschild).

Après la guerre, les nouveaux instruments comme le banjo, la mandoline, la batterie de jazz et la guitare ouvrent la voie au fox-trot, à la valse musette, au one-step, aux marches espagnoles, le paso-doble et la maxixe. La biguine et la java datent de 1925, le shimmy de 1929, la rumba et bien sûr le swing de 1931.


Les chansons

Avant les années trente peu d'airs nous viennent en mémoire mise à part la chanson de Vincent Scotto : Caroline, Caroline (1906) ou encore celle d'Elvelle : Puisqu'on a l'dimanche (1911). Les refrains les plus repris aujourd'hui dans les guinguettes sont celles qui trouvent leur origine sous le Front Populaire. Sous son influence émerge un mouvement d'affirmation et de reconnaissance d'une forme de culture populaire, qui connaît son apogée avec la chanson du film La Belle équipe interprétée par Jean Gabin, Quand on s'promène au bord de l'eau. Parallèlement, un autre genre se développe, celui de la chanson bucolique, illustrée par Couchés dans le foin, de Mireille et Jean Nohain, ou encore Les beaux dimanches de printemps (1934) de Reda Claire. Dans ce registre musical, c'est la chanson de Jean Dréjac, Ah ! Le petit vin blanc qui ponctue les guinguettes actuelles. La genèse du style musette montre bien à quel point ses formes musicale sont varié dès sa naissance et se sont transformées au cours du siècle. Le musette apparaît ainsi comme un style musical très large qui englobe en fait des répertoires divers.


Le public

Le public des guinguettes est malgré tout composé des habitués, présents au moins deux à trois fois par mois, voire plusieurs fois par semaine, et de préférence l'après-midi. De façon générale, cette clientèle comprend autant d'hommes que de femmes et une majorité de couples. Ceux qui ne viennent pas en couple, son cependant le plus souvent accompagnés, et à peine 1/5 des clients se rendent seuls à la guinguette, où ils se retrouvent pour la plupart des amis. Les habitués évoquent fréquemment un rajeunissement de la clientèle. Affirmation hasardeuse... En effet si la tranche des 12-25 ans est infime, celle des 26-45 ans est elle beaucoup plus présente, en particulier en soirée. La moyenne d'âge se situe toutefois entre 46 et 70 ans.[...]

Notons cependant que le public le plus difficile à appréhender, à savoir les groupes et voyages organisés, constitue l'essentiel du chiffre d'affaire des guinguettes.[...] En outre, la clientèle varie sensiblement selon les établissements et les jours de la semaine, ce qui ne signifie pas qu'à chaque guinguette corresponde un public type.

Le Martin-Pêcheur est sans aucun doute l'établissement qui draine le plus de jeunes. Ce sont en particulier les jeunes groupes français encore peu connus, se produisant en soirée, qui les séduisent. La piste de danse est alors investie d'un public plutôt parisien "branché", qui contraste avec celui des dimanches après-midi. En week-end, l'après-midi, plusieurs générations sont représentées, au sein d'un public familial, incluant des enfants en bas âge.

Chez Gégène, le public varie surtout en fonction des jours. Le dimanche après-midi est le rendez-vous des habitués. Endimanchés pour l'occasion, les clients, d'une moyenne d'âge de 50 ans, sont des inconditionnels du musette et ne viennent ici que pour la musique et la danse. Le vendredi et le samedi soir rassemblent un public plus varié en âge et en tenue vestimentaire. La piste du fond est la plus bondée, prise d'assaut par les groupes, qui se risquent également sur la piste en parquet. Pourtant, les habitués présents ont peu d'échanges verbaux avec eux, même s'il leur arrive de les inviter. Chacun s'observe et se juge, et très vite, les nouveaux venus prennent conscience de cette distinction.

Les dimanches après-midi et les soirées du Petit Robinson sont comparables à ceux de Chez Gégène. Les soirs d'affluence, près de 400 personnes s'y bousculent. On y rencontre aussi beaucoup plus de groupes de voyages organisés, et d'autant plus le lundi, où la moyenne d'âge dépasse les 60 ans. Des danseurs habitués des championnats rivalisent avec des amateurs chevronnés. Ils se veulent également plus soignés et plus élégants que Chez Gégène. Le soir, la piste unique les oblige à cohabiter en se cédant mutuellement l'espace ; procédé facilité grâce à l'alternance du répertoire : rock, reggae, funk, valse musette, tango, paso...

Chez Mimi la Sardine, la variété de la clientèle tient moins aux jours de la semaine qu'à la saison. En hiver, seuls les habitués résidants le plus souvent dans les environs viennent s'y restaurer en famille, dans la décontraction. En été, les promeneurs déjeunent à la terrasse. Tout comme au Martin Pêcheur le nombre de clients est proportionnel au temps qu'il fait. Seuls deux ou trois couples viennent danser sur la piste. Au cours de l'après-midi, une deuxième vague de clients fait halte pour prendre un pot.

Dans tous ces établissements, on perçoit une même volonté de mettre en valeur la familiarité et la convivialité, autant parmi les clients fidèles qu'entre ceux-ci et le personnel.[...] De part sa notoriété, Gégène est sans doute la guinguette la plus sensible à l'intérêt d'entretenir une telle image.


Autour des guinguettes

Outre Culture Guinguette et le Musée de Nogent qui travaillent en étroite collaboration, d'autres associations oeuvrent dans différents domaines liés aux guinguettes et au Bords de Marne. La société des amis du Musée de Nogent tente d'alimenter la collection du musée par l'acquisition de peintures ; l'Ecole des bords de Marne, elle, a créée en 1990 par Michel Riousset, à la suite de la parution de son livre sur l'histoire des bords de Marne (1984). Elle rassemble une trentaine d'artistes qui, tout en explorant d'autres thèmes, exposent chaque année dans une ville différente des bords de marne des oeuvres de styles très variés portant spécifiquement sur ce thème.

Les bords de Seine donnent eux aussi lieu à la constitution d'associations : Dans les Yvelines, les Amis de la Grenouillère, créée en 1995, compte environ 250 adhérents qui se consacrent à la sauvegarde de l'Ile de la Grenouillère et souhaitent restaurer le célèbre "Café-bal flottant".[...] En face du site, à Croissy-sur-Seine, se trouve depuis 1998 le Musée de la Grenouillère, géré par l'association.[...] Enfin, Les Amis de la Maison Fournaise se consacrent à la préservation de cet ancien établissement, à la fois lieu de vente et de location de canots et restaurant dans la deuxième moitié du 19 ème siècle. L'association organise des expositions dans son Musée, à Chatou, et publie un bulletin annuel. On peut aussi mentionner, dans l'Essonne, l'association bénévole Les Guinguettes de l'Yvette, qui organise une manifestation annuelle en aménageant des guinguettes de différents styles en proposant des spectacles et des animations de rues dans le but explicite de "faire revivre cette tradition".

L'impulsion donnée par les militants et les diverses associations décrites s'inscrit de surcroît dans un mouvement conjoint de renouveau qui dépasse les seules guinguettes et concerne aussi bien les danses de couple, l'accordéon, mais aussi des activités extra-musicales telles que l'aviron.


Un décor champêtre

Des berges verdoyantes, plantées de peupliers et de saules pleureurs, des terrasses ombragées sous les pergolas et les treillages, tel est le cadre extérieur caractéristique des guinguettes. [...]

Les guinguettes sont indissociables de cet environnement, jugé d'autant plus champêtre et accueillant qu'il est associé à la saison estivale. L'aménagement des abords des établissements renforce ce sentiment : la circulation restreinte voire interdite des voitures cède largement la place aux pistes cyclables et aux allées piétonnes bordant la rivière.


Nappes à carreaux et guirlandes multicolores

Nappes à carreaux, bougies, lampions, bouquets champêtre, photophores, vaisselle de style "campagnard"... Le caractère champêtre du cadre extérieur des guinguettes est assorti d'une décoration intérieure rustique, dont on vante la sobriété, souvent associée à un style "populaire" aujourd'hui fort prisé.

Ce style était pourtant loin de caractériser le décor d'autrefois. Certes, celui des petites guinguettes du 19ème était souvent rudimentaire. Mais il était loin d'être homogène. Cette variété apparaît clairement dans la description que Warnod (1922) fait des bals des années vingt : au style champêtre du Moulin de la Galette s'ajoute le style ottoman du bal Bullier (tons blanc et or, opulence des dancings, tentures murales...).[...]

Aujourd'hui, les établissements se font fort de donner une tonalité bien spécifique à leur décor intérieur. Tous partagent un même goût pour les vieilles photographies ou cartes postales en noir et blanc, qu'elles témoignent de l'ancienneté de la guinguette elle-même, d'autres bals, ou plus largement de l'activité des bords de Marne d'autrefois. Les murs sont également recouverts de vieilles publicités ou partitions, auxquelles Mimi la Sardine a choisi d'ajouter des articles sur sa guinguette. Au Petit Robinson, l'évocation du passé prend aussi la forme d'un couple de mannequins attablés, habillés dans le style de la Belle Epoque.

Tout ces éléments sont autant de témoignages d'une tradition française bien établie, inscrivant les guinguettes dans un héritage historique sans souci de le circonscrire avec précision. Le Martin Pêcheur, lui, ne fait pas autant usage de cette référence au passé, qui n'apparaît pas déterminante dans sa conception de la guinguette, et lui préfère ainsi des illustrations contemporaines (affiches de groupes musicaux ou d'événements).

Par l'environnement dans lequel elles se situent et qui est mis en scène au sein même des établissements, les guinguettes privilégient très certainement un décor champêtre qui les distinguent d'autres dancings situés dans le cadre urbain jugé austère. La décoration intérieure, elle, s'avère plus éclectique que ne laissent penser les médias ou les représentations des informateurs, au même titre que l'architecture. Mais dans bien des cas, il s'agit de donner un encrage historique à ces lieux de bals aussi bien à travers le style rétro que par le biais d'illustrations qui rendent hommage au passé.


A la bonne franquette

Les guinguettes sont aussi, et même avant tout, des restaurants et des débits de boisson. Au 19ème siècle, elles offraient aux Parisiens la possibilité de consommer du poisson de rivière frais.[...] La gastronomie semble avoir été un aspect important de la renommée de certains établissements. Néanmoins, la plupart proposaient des spécialités simples, comme le boeuf gros sel, la gibelotte ou la fricassée de lapin. Le fameux "guinguet" aurait été un vin rouge épais, dit "bleu", de piètre valeur gustative. Il est fort probable que la qualité de la nourriture différait selon les lieux et les prix pratiqués. Aujourd'hui, l'heure n'est plus à la nouvelle cuisine mais plus à la simplicité, absente de contraintes et de sophistication.

Qu'en est-il des menus proposés par les établissements ? Au dire des responsables de la restauration, la qualité gastronomique est essentielle à la bonne marche d'une guinguette, qui ne doit pas être une vulgaire "boîte à bouffe".

Le Petit Robinson est sans doute celui qui a le plus travaillé la présentation de sa carte, alliant une plastique originale (menu-musette en forme d'accordéon) à un contenu qui se donne explicitement pour objectif la revitalisation d'anciennes coutumes : assortiment d'apéritifs anciens introuvables, plats traditionnels, texte explicatif et historique sur le menu. Les autres plats cultivent la sophistication tant dans la désignation ("baluchon de saumon aux crevettes"...) que dans les ingrédients (salade de rouget et crostini...). (Dîner dansant : 195 Francs).

Chez Gégène le menu est plus copieux et classique, sans pour autant céder à la facilité. Les frites sont réputées pour être faites maison. Plusieurs formules sont possibles, depuis le repas pris sur la terrasse (entre 120 et 150 francs boisson non comprise), où l'on peut se contenter d'une friture et d'un plat de moules-frites, jusqu'au déjeuner-dansant donnant accès aux pistes de danse (235 francs avec kir, entrée, plat, dessert, vin et café).

Au Martin Pêcheur, un snack permet à ceux qui arrivent après 14h30 de se restaurer rapidement et de façon moins coûteuse, avec les inévitables fritures et autres saucisses et moules-frites. Deux menus sont en outre offerts le week-end, l'un à 165 francs et l'autre à 195 francs, le tout boisson comprise ("cuvée guinguette"). Outre les fritures et les moules, qui sont préparées à la crème, on peut manger des entrées plutôt classiques, peut-être un peu plus modernes que dans les autres établissements : cabecou sur canapé, melon et jambon cru, ou salade de fruits de mer. Les plats sont variés, alternant entre la tradition revendiquée, l'originalité, ou la simplicité des viandes préparées sur une grande rôtissoire.[...] Des journées spéciales sont le prétexte de changements de menus, comme la "spéciale muscadet" ou la "spéciale paella".

Quant à Mimi la Sardine, il a assis la célébrité de la guinguette sur les fameuses sardines grillées, farcies à l'orientale. Il propose en outre un menu résolument simple, adapté à sa clientèle estivale composée en partie de promeneurs du dimanche. Pour 50 francs, le client peut se servir à volonté au buffet de salades, crudités et charcuterie. Pour des sommes équivalentes ou légèrement supérieures, il peut compléter son repas avec des fritures d'éperlans ou de calamars, des moules, des frites, ou des viandes grillées dans l'ancien four à pain de la cuisine. Pendant la basse saison, Mimi soigne ses habitués en leur proposant un menu spécial d'un week-end sur l'autre : couscous, paella, coq au vin, confit de canard...

Les efforts déployés par les patrons d'établissements pour satisfaire le palais de leur public sont indéniables. Mais les habitués se soucient-ils du contenu de leur assiette ? Plusieurs affirment qu'ils ne viennent pas à la guinguette pour manger, mais plutôt pour se restaurer dans un cadre qu'ils jugent exceptionnel.

Le prix est également important pour les danseurs, qui doivent aussi payer l'entrée de la salle ou du concert. On peut supposer que la majorité des clients plus ponctuels n'accordent pas non plus une telle importance à la nourriture : nombreux sont ceux qui ont déclaré (tous établissements confondus) être un peu déçus du rapport qualité-prix, mais que cela leur importait peu. Ils étaient en revanche enchantés du décor et du spectacle qui s'offraient à eux, cadre champêtre, musique et danse restant très certainement les éléments cruciaux de leur taux de satisfaction.


Casquettes et paillettes

L'élégance vestimentaire était de mise dès le 18ème siècle dans les guinguettes.[...] Quel que soit la milieu social, le moment de la fête, du bal, de la "sortie" en général, est marqué par la volonté de rompre avec le vêtement de tous les jours.[...] Il n'en va pas de même pour les guinguettes des bords de Marne à l'époque de la vogue du canotage. Elles sont le théâtre des fantaisie vestimentaires les plus débridées.[...]

Au tout début, on adopte la tenue des bateliers et des marins, qu'on troque ensuite contre toutes sortes de déguisements farfelus, pour finalement, vers la fin du 19ème, opter plus "sobrement" pour le style "sportsman" : maillots rayés et bras nus, cotonnades blanches amples, chapeau de paille à bords larges ou foulards de pirates...[...] Les femmes cousent des robes en copiant les modèles à la mode et rassemblent au prix de nombreux sacrifices les accessoires indispensables : chapeau, chaussures, sac à main, bijoux...[...] >

Pour Jo Privat, il y a une distinction entre l'élégance populaire et celle des classes aisées : "on va à la guinguette ou au bal musette en tenue du dimanche "tout simplement", alors que les dancings ne sont fréquentés que par des gens en "robe de soirée" et smokings".[...] Il semble que ces caractéristiques soient toujours d'actualité, du moins en ce qui concerne les personnes les plus âgées.[...] Toutefois tous les habitués-amateurs de danse précisent aussi qu'ils s'adaptent selon les établissements. Chaque guinguette ne requiert pas la même élégance, et les guinguettes en général se distingueraient des dancings où la cravate serait indispensable. S'habiller et aller danser sont donc deux actes indissociables.

Chez Gégène la "tenue correcte" est exigée. Les habitués sont immédiatement repérables. Les hommes associent des pantalons de toiles à des chemises assez voyantes, brillantes ou brodées. Les robes des femmes sont également assez colorées et brillantes, décolletées, moulantes et courtes ou au contraire évasées, très longues et virevoltantes... Les musiciens portent tous un costume identique, avec la même chemise bigarrée, et la chanteuse est en robe de soirée à strass, décolleté.

Le Petit Robinson ressemble à Chez Gégène au point de vue vestimentaire, avec peut-être le soir, des tenues plus sophistiquées au sein des couples. Certains partenaires sont en effet assortis. On peut voir évoluer plus d'hommes en veston-cravate, et de femmes en talons hauts et robes brillantes. Les groupes de personnes âgées du dimanche et du lundi après-midi sont beaucoup plus neutres, pantalons de flanelle grise ou beige et robes "charleston" de tons discrets. Les serveurs portent un véritable costume de scène, tout habillés de noir avec un foulard rouge et éventuellement une casquette bouffante.

Au Martin Pêcheur, les styles sont nettement plus hétéroclites, allant du costume-cravate à l'ensemble short - T-shirt - baskets. Des jupes virevoltantes, fines et légères, en tissu à fleurs côtoient des jeans, des petites robes noires moulantes ou des tailleurs. Les personnes âgées sont sans conteste celles qui s'habillent le plus. Certains se plaisent à adopter le style du titi parisien à casquette. Les orchestres qui s'y produisent apportent aussi leur touche personnelle. Les serveurs sont en maillots rayés vert et blanc, avec éventuellement un canotier et un tablier vert au logo de l'opération "Muscadet, les années guinguettes".

Enfin, chez Mimi la Sardine on rencontre plutôt des familles plus ou moins endimanchées, ou des promeneurs en tenue de sport. Les jeans, T-shirts et tennis sont monnaie courante. Les serveurs sont en jeans et T-shirt blanc et bleu estampillé Mimi la Sardine, avec le logo de l'établissement. Seul la chanteuse d'une soixantaine d'années, déteint avec ses chaussures à strass argenté, sa petite jupe courte, et sa chevelure blonde décolorée.[...]

Pour beaucoup de clients occasionnels des guinguettes, le costume des danseurs est un élément-clé du spectacle qu'ils s'attendent à voir, ou auquel ils désirent participer activement. Les articles reprennent souvent, depuis 1998, cette description de la "panoplie guinguette" proposée par C. Vialard : "Pour les hommes, marinières et bretelles, pantalons blancs, canotier ou casquette. Regard canaille. Pour les femmes, robes vichy, à fleurs ou à pois, chapeaux de paille enrubannés. Charme rétro." Elle éveille également chez ses lectrices la nostalgie des robes à frou-frou et à volants.


Guincher au son de l'accordéon

Décor, tenue vestimentaire et cuisine des guinguettes relèvent d'une esthétique liée a des représentations variées mais aisément identifiables. La tâche est plus difficile en ce qui concerne la musique, tant le répertoire est nuancé et ses influences multiples. [...]

Tout les amateurs s'accordent à dire qu'ils préfèrent danser au son d'un orchestre, source d'une convivialité incomparable à l'utilisation de bander enregistrées. L'orchestre ne fait qu'accroître l'opposition avec les discothèques, que venait souligner déjà le décor champêtre.

Tout bal exige des musiciens une attention particulière à leur public afin de le satisfaire le mieux possible : quelques coups d'oeil suffisent à l'orchestre pour évaluer le degré d'enthousiasme que tel morceau ou style musical suscite parmi les danseurs. Les habitués des guinguettes suivent avec acuité les déplacements des orchestres en attendant la réouverture des établissements.

Lorsque le Petit Robinson reçoit des groupes de comités d'entreprises, il est très facile de discerner les morceaux qui s'adressent aux habitués de ceux destinés à un public plus large. Chez Gégène, les changements de style se font toujours en douceur, et les musiciens prennent soin de s'adapter à la réaction du public. Le soir, ils s'accordent un répertoire plus varié, moins typiquement musette, en intégrant les tubes du moment, de la salsa, du rythm& blues et du disco.

Ce souci d'adaptation permet de drainer un public plus vaste et, pour les orchestres itinérants, de multiplier les occasions de jouer dans différents contextes. Les groupes qui se produisent dans les guinguettes font aussi souvent preuve d'une grande polyvalence dans les styles interprétés.[...] La guinguette représente un endroit incomparable en terme d'interaction avec le public.

Guinguette, musette... Au-delà de la rime de ces deux termes, leur équation semble aller de soi, tant ce lieu et ce style musical renvoient à des représentations communes. Pourtant les danses et les chansons jouées par les orchestres des guinguettes sont loin d'être circonscrites au musette, qui connaît lui même bien des variations. Musiques et danses latines, rock, twist, jazz, style manouche, chanson française, biguine, reggeae, techno caractérisent tout autant - et souvent d'avantage - le répertoire des guinguettes. Dans les habitués, nombreux sont ceux qui déclarent aimer "toutes les danses". On peut constater un grand enthousiasme pour les musiques d'inspiration latines. Les rythmes antillais figurent aussi en bonne place, par le biais du zouk et de la biguine. Le répertoire musette n'est toutefois pas en reste, honoré par les javas, les valses, les marches, le madison, le rock, les twists, des polkas et les bourrées : C'est à ce style musette que revient souvent le rôle d'ouvrir et de fermer le bal, et sa présence demeure essentielle.

La plupart du temps, les guinguettes actuelles privilégient largement la chanson française d'après-guerre ainsi que des styles de diverses origines (Amérique du Sud, Amérique du Nord, Caraïbes).[...] La musique interprétée dans les guinguettes doit s'accorder aux représentations qui y sont liées pour être à propos.

Au-delà de leur diversité, la musique et les danses interprétées dans les guinguettes sont issues d'un processus de métissage à l'oeuvre depuis le début du siècle, dès l'apparition du style musette. Mise à part l'encrage auvergnat, italien et parisien, les emprunts américains ont toujours été perceptibles. L'influence des Etats-Unis se fait sentir dès 1900, avec le succès d'un spectacle de Cake-Walk, qui lance la vogue des "danses de nègres", suivie de près par celle des "danses animalières", dont le fox-trot en 1913. La première guerre mondiale marque l'avènement du jazz, avec l'apparition du premier jazz band au Casino de Paris. Joséphine Baker et sa Revue Nègre popularisent le charleston au théâtre des Champs-Elysées en 1925, tandis que se développe la mode du swing, appuyée par l'usage croissant des disques et des postes de radio.

Le cinéma joue également un rôle de première importance, à travers les premières comédies musicales (Le chanteur de Jazz en 1927). Enfin après la seconde guerre mondiale, la fascination pour les Etats-Unis est encore plus forte. La façon de danser le jazz évolue, se fait plus acrobatique, et se trouve bientôt remplacée par le rock d'Elvis Presley qui fait scandale dans les années cinquante car il chante en dansant, "comme un nègre". Les danses d'origine latine, voire plus ou moins orientale ou polynésienne, provoquent aussi l'enthousiasme. A. Décoret décrit ce phénomène en utilisant la notion de "dansomanie exotique", qui aurait caractérisé l'entre-eux-guerres. Pour devenir typiquement parisien, l'espace de la danse se doit d'être hautement cosmopolite. Ce goût pour l'exotisme ne doit cependant pas masquer le fait que l'interprétation française de ces danses diffère malgré tout nettement de l'interprétation originelle. Il en va de même pour la musique, qui procède à une réinterprétation des styles et des morceaux, aussi bien mélodique que linguistique.[...]

Les interprétations musicales et chorégraphiques que nous offrent les guinguettes manifestent donc un attrait de longue date pour les colorations exotiques, au travers de rythmes essentiellement américains, réajustés, transformés, et adaptés au contexte français.[...] Dire que l'esthétique musicale et chorégraphique des guinguettes est francisé et s'inscrit dans certaines limites, n'implique pas sa dévalorisation. Il s'agit simplement d'identifier le fonctionnement de ces réinterprétations musicales.[...]

Quels que soient les jugements qu'il inspire, le processus de métissage est bel et bien caractéristique de la musique interprétée dans les guinguettes. Il s'exprime notamment par des réinterprétations et des ajustements systématiques destinés à insérer les différents emprunts au sein d'un cadre ouvert mais non dépourvu de codes, celui de la variété française.


Franc-parler

Les guinguettes étant souvent associées à la "culture populaire", on leur prête volontiers un langage en accord avec cette image. Au 19ème siècle, on distinguait déjà le jarre (argot) du verlan et du louchebem (propre aux bouchers de la Villette...), émaillés d'expressions maghrébines employées par les anciens des Bataillons d'Algérie (Mektoub, Inch Allah, caïd, bled...) [...] Seuls les initiés auraient accès à ce langage, autrement dit les membres mêmes du Milieu auxquels il s'identifie.[...]

A la fin de sa vie, Jo Privat, faisait de son langage un élément essentiel de son appartenance au monde des marginaux et des guinguettes. Le franc-parler est posé comme l'essence même de la convivialité. [...] Dépassant de simples références argotiques, le discours des militants relève d'une véritable rhétorique, qui se veut le reflet nostalgique d'un style de vie particulier aux guinguettes.

Le champ sémantique des guinguettes est également bien circonscrit : vocabulaire champêtre (fleurir, s'égrainer, fleurer bon, flâner...), musical (fredonner, chansonnette, p'tit air d'accordéon...), dansant (guincher, p'tit bal du samedi soir, fringuant cavalier...), "canaille" (rouflaquettes, gouaille, titi parisien, poublot...) Ou plus largement "pittoresque" (lampions, jaja, charme rétro...). Les termes de "tradition" et "d'authenticité" font écho aux références cinématographiques et musicales : on "sirote" son vin blanc "du côté de Nogent", "Eldorado du dimanche", où l'on découvre que "les guinguettes n'ont pas fermé leurs volets". Le ton est jovial et enthousiaste, à l'image d'une guinguette d'où seraient bannies tristesse, morosité et laideur. [...]

Les guinguettes offriraient l'expérience de la quintessence du bonheur.[...] Le sentiment de félicité serait renforcé par l'éradication de toutes les barrières sociales, car les guinguettes seraient des lieux d'exception où tout le monde fraternise, "où les couples ont l'air plus amoureux qu'ailleurs", où l'on retrouve enfin une simplicité populaire révolue, qui ouvre la voie à un populisme ambigu. On propose alors aux touristes de leur dévoiler la face cachée du chic parisien.

L'argot et l'utilisation d'un langage familier, voire un peu osé, qui se posent d'emblée comme les expressions d'un "franc-parler", visent dans les discours militants, médiatiques et publicitaires à inverser le stigmate "populaire" qui pèse sur les guinguettes, en l'érigeant en qualité intrinsèque, en valeur de sincérité.[...] Mais, entre imiter l'accent "parigot" et accepter à l'écrit la présence de contradictions et d'élisions, il y a un gouffre, que personne ne souhaite franchir pour l'instant.

Article écrit par tony le 18/12/2002 (lu 22481 - catégorie : Documents) - Imprimer cette news





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