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 Jo Privat, une exception culturelle 

SwingJO - Jo Privat : une exception culturelle par Marie-Hélène Jacquier

Ce type-là n'est pas seulement une gloire musicale, une légende de l'accordéon, l'ambassadeur de la musette, l'empereur du Balajo,
c'est avant tout une exception culturelle.

Jo Privat par Doisneau

  "Dis, tu connais au moins l'origine du nom de la rue de Lappe ?"
Avec Jo Privat, ça démarre comme ça. Et il raconte :
"C'est parce qu'il y avait un proprio qui avait les marais et les jardins où on a percé la rue en 1600 et quelque. Ce gars s'appelait Lappe."
La rue de Lappe, Jo, c'est son fief, son histoire, ses souvenirs dans lesquels il nous emmène en balade.
"Dans mon genre, je suis le deuxiéme génie de la Bastille, dit-il en riant. On parle du fantôme de l'Opéra. Moi, je serai celui du Balajo et de la rue."
Pas de crainte à se faire pour ceux qui le croiseront...
"La première fois que j'ai joué rue de Lappe, c'était en 36, au Balajo. C'était l'endroit à la mode et pour moi, c'était la consécration. En montant sur l'estrade de l'orchestre, j'étais comme un roi montant sur son trône!"
Pourtant, le petit Jo avait déjà une longue carrière de musicien derrière lui puisqu'il avait commencé à jouer à 7 ans sur un accordéon offert par sa tante. Propriétaire d'une maison de tolérance, elle comptait parmi ses clients le grand Emile Vacher. Plein d'admiration pour le talent incontestable du petit neveu, ce dernier le fit embaucher chez Marius, rue des Vertus.
"Chez Marius, l'orchestre était au-dessus des chiottes. Je te dis pas les relents, parfois ca bousculait. J'y ai accompagné Piaf. Elle chantait alors deux ou trois morceaux avant de faire la manche...

  Tu sais, le métier, je l'ai commencé en jouant dans les cours et dans les lavoirs avec mon copain Gusto qui faisait la quête auprès des femmes qui tapaient le battoir. J'ai aussi joué dans une brasserie de La Bastille avec trois poivrotes. Y'en avait une qui détestait l'accordéon. Quand elle était poivre, elle me filait des coups d'archet et m'obligeait à jouer l'Auberge du cheval blanc. A peine sorti, je filais rue de Lappe. Là, tout me plaisait. J'étais déjà mordu pour la musette et j'allais écouter Fernando chez Bouscat. Les gars avaient encore des grelots aux chevilles pour marquer le rythme. Et moi, je me disais : un jour j'y serai"

  Un accordéon en médaillon et en chevalière la casquette vissée sur la tête, Jo a tout gardé des années de gloire de la musette. Pas pour le folklore. Pour le plaisir d'exister. Sur sa chemise blanche cadrée par une superbe paire de bretelles, des squelettes noirs. Il rigole :
" Ben oui, ils me font trop chier les vivants. "

JO a la Bastille JO par Robert Doisneau JO par Robert Doisneau

  Il raconte sa vie sans faux-semblant.
Un vrai régal pour l'oreille même s'il faut s'accrocher pour comprendre.

"T'entraves quand même ce que ça veut dire ?"
s'étonne-t-il à un passage un peu osé de ses souvenirs.
"Un gars qui met sous presse une petite, ça veut bien dire ce que ça veut dire ?"
Quand il parle, c'est un vrai cinéma. Pas du verlan compliqué, non que des images. On regrette que les enfants n'entendent pas. Un exemple. Il présente Daniel Schmid, le directeur du Balajo, ex-champion du monde de catch.
"Une armoire dont la seule vue rend poli et aimable. Il en fallait des comme ça. Des réservoirs à gifles (les biceps) comme les siens, ça calme vite !"
 Jo connaît la rue de Lappe depuis plus de 58 ans.
Cependant, aujourd'hui, quand il se promène, il faut vraiment qu'il fouille dans sa mémoire pour faire remonter les images.

"Ça n'a plus rien à voir. Il y avait 12 bals, t'imagines ? Ici, c'était chez Noilles "Au vrai musette". Tous les homos chics venaient s'y encanailler. T'aurais vu les décapotables ! A la place du Bar des sans-culottes, c'était chez Marius Dauzet, le bal de Jacky la gouine. En face au n°24, le patron du bistrot grand et mince s'appelait Dédé le tube. Tout le monde avait un surnom : Dédé les diam, Giton la cabrette, Gaston la Peugeot. Y'avait les inconnus et les connus. J'étais intime avec Auguste le Breton, Jo Attia, Pierrot le fou, Emile Buisson... Y'avait des truands, des fêtards, des fessards, ceux qui vendaient du pain de fesse, ceux qui en achetaient, tout ça se mélangeait. Tiens, regarde - arrêt devant chez Eliakim - c'était la première boutique de Jo France, le créateur du Balajo. Ah, quelle ambiance... A 7 heures, tous les musiciens bouffaient ensemble. Il y avait une mère qui adorait faire la cuisine. Tellement qu'elle en est morte devant ses fourneaux. Elle t'offrait la tortore pour queue dalle : 7 balles et t'avais le plat, la potence de sauciflards, le fromage à volonté... Et puis, dans la rue, y'avait le spectacle ! Les petites étaient pas des gravats. Il fallait les voir avec leurs jupes volantées, fendues ou leurs tabliers plissés. Elles venaient pour gambiller avec les gars qui portaient toujours une casquette ou un chapeau. Tu parles, à l'époque, pour lever une petite, fallait être chic. Au comptoir du Balajo, c'était le grand standing. Que des seaux de champ et même si les diams n'étaient pas tous vrais, ils faisaient de l'effet".
Au Balajo, lui, le maestro du musette (plus de 700 compositions) a joué pour les plus grandes stars : Rita Hayworth - il lui a composé une java - Robert Mitchum, Sophia Loren, Jean Gabin, Brigitte Bardot ...
"et même pour un type qui était venu danser avec son âne. La bestiole a été attachée à la porte du Balajo".
Le fils de maçon Italien, né à Ménilmontant, est devenu le roi du piano à bretelles, de la boîte à frissons sans se prendre la grosse tête. Rare. On en connaît qui pour moins...
"Tu sais ce que je disais ? qu'on est des laborieux du dépliant. On bossait beaucoup, de 3 heures de l'après-midi jusqu'à 2 heures du matin."
N'empêche qu'il a la nostalgie. Les petits bals lui manquent. Ah, les Quatorze juillet d'autrefois !
"Tu comprends, y'avait pas toutes ces bagnoles. C'était plus facile. Le patron de la Rotonde et ses voisins se mettaient en combine pour payer l'orchestre et sur la place, c'était la noce. Les gens se marraient à l'époque. Maintenant, ils sont marrants comme des feuilles d'impôts. Même pour une roteuse, ils ont plus de monnaie ! On a perdu la sympathie."
Lui, la sympathie, il ne l'a pas perdue. Il suffit de le voir passer dans le quartier. Un petit mot à chacun, du temps pour tout le monde. Une exception culturelle, vraiment.

Article de Marie-Hélène Jacquier pour le jounal de quartier "A la Bastille" paru en 1994. Merci à Jean-Claude Laudat pour ces documents.



Article écrit par tony le 08/04/2004 (lu 4866 - catégorie : JO PRIVAT) - Imprimer cette news





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